Alice Miller, abus et maltraitance de l'enfant

Lettre ouverte aux Participants du Forum
Mai 2001

Lettre à Steven et tous : Je ne suis pas un gourou

Salut Steven, merci beaucoup d'avoir soulevé le problème du "gourouisme" et votre méfiance que je partage. Etre adepte d'un gourou et vouloir évoluer est à mon avis une contradiction en soi parce qu'un gourou vend sa "sagesse" au prix de l'authenticité de ses adeptes.

J'espère que personne ici n'aura besoin de voir un gourou en moi, tout spécialement si vous les conscientisez par rapport à ce danger pour eux, comme vous l'avez si bien fait dans votre lettre du 16 mai à Anna.

Vous vous questionnez à propos de mon enfance. Comme vous, j'étais une étrangère aux yeux de tous dans ma famille. Aujourd'hui, je suis sûre que je n'étais pas voulue, rejetée depuis même la conception, jamais aimée, complètement négligée émotionnellement, et utilisée pour les besoins des autres. Mais par-dessus tout, ils me mentaient, j'ai grandi dans une parfaite hypocrisie. Mes parents, tous deux absolument inconscients de leurs vraies émotions, prétendaient m'aimer beaucoup et j'y ai cru (parce que j'avais tant besoin de cette illusion)pendant plus de quarante ans de ma vie jusqu'à ce que j'ai commencé à suspecter la vérité cachée derrière leurs prétentions, cachée probablement à eux-mêmes aussi.

Suspecter n'était pas la même chose que de savoir avec certitude mais c'était le début. Cela m'a pris 20 ans de plus pour me débarrasser de mon déni car j'étais si seule avec la connaissance de mon corps et de mes rêves, et un mur de déni m'entourait toutes les fois où j'ouvrais la bouche. Écrire et peindre étaient les seuls moyens pour continuer mes recherches sans être blessée et "punie" d'être la fauteuse de troubles.

Les réactions à mes écrits m'ont montré que ce que j'avais découvert pour moi-même était aussi vrai pour d'autres. Je me suis sentie alors moins seule. J'ai commencé à travailler avec des groupes de jeunes parents et j'ai trouvé encore et encore le même modèle, l'aveuglement émotionnel des parents qui étaient effrayés de confronter leurs traumatismes du passé et l'infligeaient inconsciemment à leurs enfants. Et maintenant, nous le retrouvons ensemble sur ce forum. Ainsi, pour la première fois de ma vie, je ne me sens plus comme une étrangère, je me sens appartenant à un groupe de personnes qui pense comme moi, que je n'ai pas besoin de convaincre, d'informer, de remuer, de réveiller. Je suis ici avec des gens qui ne sont pas effrayés par ce que je dis, qui me comprennent parce qu'ils ont connu la même terreur, qui disent tant de choses qui m'émeuvent profondément et avec lesquels je peux communiquer ouvertement comme je l'ai toujours voulu sans en avoir jamais eu la chance auparavant.

Ceci est bien plus que ce que j'ai jamais osé espérer. Parler librement des propres émotions, sans utiliser les défenses conventionnelles très bien connues, était à mon avis seulement possible en rêves ou sur une autre planète. Et maintenant, surprenant à moi-même, cela devient une réalité. Incroyable!

Alors, s'il vous plaît, ne me voyez pas comme un gourou, cela me placerait encore dans une position où je ne veux pas être. Je ne suis ni votre professeur ni votre maître, je ne veux pas vous conseiller ni vous imposer quoique ce soit, je ne suis pas votre mère ou grand-mère, je suis Alice, une sœur dans la douleur, comme Toril, la sœur de Bent, qui peut lui dire: Je sais de quoi tu parles, je connais papa et maman et les réponses qu'ils nous ont données parce que je peux finalement ressentir. Et Bent peut dire la même chose à Toril. Je ne suis pas l'auteur ici, je suis une des personnes qui a enduré comme vous l'horreur dans son enfance et qui apprécie de savoir que ce qu'ils diront en anglais, allemand ou français ne sera pas du chinois pour les autres. Pouvez-vous imaginer que j'ai eu ce sentiment toute ma vie jusqu'à récemment? Merci à vous tous d'être là.

Alice Miller

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